Le sanglier et le maïs : une histoire d’amour

 

Bonte et Izard (1991) datent l’apparition du maïs – plante native des Amériques – à 5000 ans avant notre ère et affirment que c’est l’une des plantes du secteur alimentaire mondial les plus cultivées après le blé et le riz. Ils relèvent que les céréales de grande taille comme le maïs impliquent des techniques de préparation du champ, du semis et de récolte très différentes de celles des céréales de petite taille. Ainsi l’on peut aisément imaginer que cette culture importée a obligé certaines exploitations à s’équiper de manière à pouvoir cultiver cette ressource quasi imposée par la Confédération. Dans le Mandement le maïs n’est plus cultivé car il n’est plus rentable économiquement mais aussi parce que les sangliers en sont trop friands et que, cultiver du maïs, reviendrait à nourrir la faune et vivre des indemnités uniquement. Les gestionnaires genevois déclarent dans le deuxième numéro de Sanglier & Compagnie (DIAE, 1999) que les dégâts sur le maïs ont lieu pendant les semis où les sangliers plantent leur groin dans la terre et mange les grains un par un. Une fois que le maïs est au stade vert il n’est plus attractif  sauf si le sol contient de la nourriture intéressante. Ensuite c’est quand l’épi est au stade laiteux que les sangliers viennent le manger car la teneur en sucre est élevée.

De plus le maïs est une des cultures hautes qui offrent aux animaux un couvert intéressant  comme refuge. Ainsi comme un exploitant l’explique (décembre 2011) :  « [Dans] un champ de maïs ils ont une, deux entrées puis ils bouffent tout ce qu’il y a dedans ! [Et] comme c’est grand on n’y voit pas ! »   Un autre agriculteur relate l’équation maïs-sanglier (décembre 2011) :   « [Les sangliers] ils le sentent à 10km : ils sont dedans ! […] C’est pour ça que le maïs tu l’oublies : c’est un truc […] économiquement ça ne vaut rien et puis en plus tu es sûr d’avoir des problèmes avec les sangliers ! » La culture de maïs a été abandonnée par les exploitants du Mandement ce qui n’est pas pour déplaire à l’inspecteur de la faune qui relève que Russin serait un des pires coins pour cultiver le maïs vu la densité de sangliers et rares sont ceux qui s’aventurent à planter du maïs dans le Mandement. Cette culture n’est plus rentable et comme le meunier le déclare (décembre 2011) :   « Il y en a beaucoup qui me disent : “On ne peut plus faire du maïs à cause des sangliers ! ” »  Progressivement cet artisan, arrivé à la tête du moulin en 1983 a vu cette cultures disparaître. Il m’explique qu’en 1983 il a moulu mille tonnes qui furent les dernières du Mandement, dès 1984 il y a eu une diminution en flèche de cette culture et sa disparition totale dans le Mandement dans les années nonante.

 Le temps de génération des sangliers est ainsi plus court que celui des autres ongulés car les femelles privilégient la reproduction à leur survie en faisant un compromis entre croissance et reproduction. La prolifération dépend du milieu mais Koller, Duvoisin, Holenweg [et al.] (2004) parlent d’une reproduction pouvant aller jusqu’à 200% donc une population peut vite se rétablir car s’il en reste dix au printemps il y en a une vingtaine en automne !

La reproduction maximale des sangliers peut leur permettre de doubler leur population en quatre mois202 plusieurs auteurs s’accordent à dire qu’une laie peut se reproduire dans sa première année et même dès son neuvième mois si les conditions sont favorables (Baubet, Sevanty, Brandt [et al.], 2004 ; Koller, Duvoisin, Holenweg [et al.], 2004). Baubet et al. (2004) affirment qu’en moyenne 35% des femelles de un an et 90% des femelles de deux ans se reproduisent minimum une fois dans l’année. Le nombre de petits dépendra de leur âge et des conditions du milieu car l’augmentation de nourriture provoque une augmentation du nombre de fœtus. Ainsi son taux de multiplication est de 1.86 sans la chasse et de 1.06 si la chasse est présente.204 On peut lire dans la brochure Interreg IIIA France-Suisse (2008) qu’une laie genevoise a en moyenne une prolificité de cinq embryons sur le bassin genevois : plus précisément de 4.6 pour les jeunes laies et de 7.1 pour les laies adultes.  Une bonne année pour les sangliers est une année à météo clémente, des nuits pluvieuses en été qui provoquent la montée des vers, une bonne production de glands et de faines en automne et un hiver doux avec peu de neige. Après une telle année la population de sangliers peut être quatre fois plus grande qu’après une mauvaise année qui peut mener à une mortalité juvénile jusqu’à 60%.205 Ainsi le sanglier semble avoir un fonctionnement démographique à part des autres ongulés. Comme Barett et Birmingham (1994) le confirme cet animal peut voir sa population doubler en quatre mois ! Ce qui explique les agitations grandissantes face à cette espèce et l’explosion démographique qui a eu lieu dans le Mandement.

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